CHÉLICÉRATES

CHÉLICÉRATES
CHÉLICÉRATES

Les noms qui servent à caractériser les vastes groupements d’animaux ou de végétaux sont difficiles à choisir car ils doivent s’appliquer, sans confusion possible, à tous les éléments qui les composent. Le terme de Chélicérate fut imaginé par R. Heymons en 1901 afin d’isoler à l’intérieur de l’embranchement des Arthropodes un sous-embranchement particulier. Ce terme vient de la réunion de deux mots grecs: 﨑兀凞兀, pince, et 﨎福見﨟, corne. Il désigne les Arthropodes possesseurs de chélicères, alors que le sous-embranchement des Antennates (dans lequel se trouvent les Insectes par exemple) réunit les animaux porteurs d’antennes. Les chélicères sont les appendices antérieurs du corps situés en avant du céphalothorax; ils ont vraiment, chez presque tous les Chélicérates, l’aspect de petites pinces faites d’une main prolongée d’un doigt fixe, à laquelle s’articule un doigt mobile (fig. 1). Ces appendices, qui possèdent selon les classes et les ordres deux, trois ou quatre articles, présentent parfois des modifications telles que leur définition de pince ne convient plus: c’est le cas pour les Acariens en particulier où les chélicères peuvent se terminer en pinces, en griffes dentées, en griffes simples ou alors se transformer, chez certaines formes prédatrices (Hydrachnides), en stylets piqueurs. Fort heureusement, l’existence de chélicères est un caractère essentiel du sous-embranchement des Chélicérates mais non le seul.

Caractères fondamentaux

Tous les Arthropodes que l’on réunit dans ce vaste groupement de près de cent mille espèces ont de nombreux points communs. Leur corps se divise en deux régions: l’une antérieure, le prosoma, l’autre postérieure, l’opisthosoma. Le prosoma, ou céphalothorax, est muni d’appendices servant à la capture des proies et à la locomotion, en tout six paires (chélicères, pédipalpes et quatre paires de pattes marcheuses); l’opisthosoma ou abdomen, est toujours privé de pattes, mais il possède des appendices transformés et ne servant pas à la marche (peignes de Scorpions, filières des Araignées, pattes branchifères des Limules); il se prolonge postérieurement par une formation impaire simple, ou formée d’articles, communément qualifiée de «telson», mais que certains spécialistes considèrent comme une épine tergale du dernier segment opisthosomatique (vésicule à venin des Scorpions, aiguillon terminal des Limules). Chez les Chélicérates, on constate donc, vers l’avant du corps, l’existence d’une concentration, non seulement des organes locomoteurs ou nutritionnels, mais encore des centres nerveux en une région unique qui est le prosoma, alors que chez les autres Arthropodes (Myriapodes et Insectes) il existe une véritable tête, distincte du thorax et qui renferme la partie susœsophagienne (ganglions cérébroïdes ou cerveau) du système nerveux central. Le troisième caractère commun à tous les Chélicérates est la situation particulière des orifices génitaux s’ouvrant, ventralement, sur le deuxième segment de l’abdomen. Un autre caractère commun est l’ouverture de la bouche en position antérieure terminale, flanquée de chélicères en position préorale; cela est dû à une flexion de la partie antérieure de l’axe longitudinal du corps vers le haut, courbure qui se remarque surtout au cours de l’embryogenèse.

Composition du sous-embranchement

Tels que nous venons de les définir, les Chélicérates comprennent à la fois des formes actuelles (marines ou terrestres) et des formes fossiles (marines ou saumâtres). Certains d’entre eux sont connus depuis le Cambrien, c’est-à-dire depuis plus d’un demi-milliard d’années.

L’ensemble des spécialistes considère généralement que les Chélicérates sont formés de deux classes, celle des Mérostomes et celle des Arachnides, et ils s’accordent à faire une place à part à un groupe très particulier, essentiellement marin, les Pycnogonides ou Pantopodes. Pour certains spécialistes, les Pycnogonides, de par la présence de chélicères, font partie des Chélicérates où ils forment une troisième classe, à rajouter aux deux classes précitées. Les Pycnogonides ont le corps divisé en trois parties: le céphalon, porteur des chélicères, des palpes et d’une trompe (fig. 2); le tronc, auquel s’attachent quatre, cinq ou six paires de pattes ambulatoires; et l’abdomen, extrêmement réduit, n’ayant jamais d’appendice. Les orifices génitaux ne débouchent pas sur le second segment de l’abdomen mais à la base d’une, de deux ou de trois paires de pattes.

Les Mérostomes et les Arachnides ont des caractères très tranchés (fig. 2). Si les seconds sont, dans leur majorité, terrestres, respirant à l’aide de poumons ou de trachées, et très rarement marins ou dulçaquicoles, les premiers, à l’inverse, vivent dans la mer ou les régions saumâtres et possèdent des branchies portées par les pattes abdominales. Malgré ces modes de vie différents, la morphologie et l’embryologie nous apprennent que les deux appareils respiratoires (poumons des Arachnides et branchies des Mérostomes) sont des organes homologues: chez les Arachnides, les premiers appendices abdominaux et leurs dépendances se sont enfoncés dans une invagination cutanée constituant le sac pulmonaire, alors qu’ils sont restés externes chez les Mérostomes.

La comparaison des divers types de Chélicérates (fig. 2) souligne de notables différences morphologiques (forme de l’abdomen, structure des pièces buccales, organes de la respiration, etc.) entre des animaux qui, d’ailleurs, vivent dans des milieux différents. Aussi a-t-on pensé que les Chélicérates actuels pourraient provenir d’ancêtres n’ayant de commun que la possession de chélicères, ce qui les ferait converger les uns vers les autres. Mais le polyphylétisme des Chélicérates n’est pas admis par tous les spécialistes et certains considèrent les Chélicérates comme un taxon monophylétique et pensent, au contraire, que les Chélicérates actuels, aquatiques ou terrestres, dérivent d’ancêtres communs, aquatiques et déjà porteurs de chélicères.

L’évolution des Chélicérates

L’ensemble des Chélicérates présente certains phénomènes évolutifs dont on peut suivre le déroulement chez pratiquement tous les représentants du taxon. Un des plus importants phénomènes est celui qui a entraîné la courbure de l’axe longitudinal du corps. Cet axe, rectiligne chez l’ancêtre présumé des Chélicérates, s’est peu à peu recourbé dans la région antérieure du corps (fig. 3) ramenant vers le haut, et vers l’arrière, un certain nombre de segments céphaliques et, en particulier, la région acronale. Un tel phénomène s’est aussi produit dans la région postérieure du corps, ramenant ventralement vers l’avant quelques segments.

Ces deux courbures ont entraîné d’autres modifications que celles ayant trait au déplacement de métamères (segments) antérieurs et postérieurs. Il s’agit d’abord de la disparition de la première paire (ou des premières paires?) d’appendices céphaliques et des ganglions qui l’innervent. On admet communément que c’est la région correspondant aux antennules des Crustacés et aux ganglions deutocérébraux (= deutocérébron) qui a disparu. Cette disparition d’un métamère entier est commune à tous les Chélicérates. Cette courbure va entraîner un déplacement vers l’avant de la deuxième paire d’appendices et de son neuromère. On admet généralement que cette région correspond aux antennes des Crustacés et à leurs ganglions nerveux (= tritocérébron). Les premiers appendices céphaliques des Chélicérates passent en position préorale et dorsale par rapport à la bouche; ils se transforment en appendices aidant à la manducation et à la capture des proies pour constituer les chélicères. Certains spécialistes ne sont pas d’accord avec cette interprétation et ils admettent que non seulement un métamère, mais plusieurs métamères antérieurs ont disparu, en laissant cependant des traces anatomiques; pour d’autres, le deutocérébron existe toujours chez les Chélicérates, bien que fort régressé. La question, on le voit, est encore controversée. La courbure postérieure de l’axe du corps entraîne la disparition d’un nombre variable de segments, ce qui expliquerait les différences constatées entre les divers Chélicérates.

Enfin, au cours de l’évolution, un phénomène important est à souligner, qui intéresse la segmentation de la bandelette germinative; c’est le phénomène du tagmosisme aboutissant à la réunion de plusieurs métamères en une seule unité fonctionnelle ou tagme. La figure 4 donne trois exemples des résultats de ce tagmosisme. Chez les Mérostomes, les Scorpions, les Araignées, six segments restent extérieurement soudés en un tagme ou prosoma (fig. 4 a); chez les Solifuges (fig. 4 b), quatre segments seulement forment le tagme appelé propeltidium, alors que chez les Acariens, deux segments constituent le tagme nommé gnathosome (fig. 4 c).

On peut être ou ne pas être partisan du mono- ou du polyphylétisme chez les Chélicérates. Il est cependant certain que l’évolution ou la modification des processus qui se déroulent au cours du développement embryonnaire ont pu, dans un même phylum, être la cause d’une grande diversité morphologique et même structurale, laissant croire à un polyphylétisme originel.

Au cours de ces dernières décennies, un certain nombre de spécialistes ont tenté, à partir de la phylogenèse, de proposer de nouvelles classifications de l’ensemble des Chélicérates, et nous disposons actuellement de toute une série de propositions sur la filiation hypothétique de ce taxon, propositions qui sont loin de converger.

En 1966, G. Sharov reprend, en gros, les arguments de l’école soviétique (Zachvatkin, Dubinin) sur la classification des Chélicérates; pour lui, les Arachnides auraient conquis la terre ferme en deux vagues, l’une formée par les seuls Scorpions et la seconde par les autres Arachnides. Les Mérostomes et les Euryptérides fossiles seraient issus d’un ancêtre commun; si les Mérostomes n’ont pas beaucoup changé au cours des temps, les Euryptérides aquatiques (actuellement disparus) ont été à la base des Arachnides aériens actuels. Il est regrettable que les termes utilisés par G. Sharov – Pedipalpa , Solifugida , Arachnida – n’ont plus du tout le sens que leur attribuent la plupart des spécialistes actuels.

Pour L. Van der Hammen (1977), les Chélicérates se subdivisent en sept groupes (Epimerata , Cryptognomea , Opilionidea , Apatellata , Arachnidea , Merostomata , Scorpionidea ) rassemblant les différents ordres de Chélicérates actuels et fossiles. Les Arachnides seraient polyphylétiques et auraient conquis la terre ferme par vagues successives; l’argumentation est formée essentiellement sur les différences des modes d’articulation des pattes qui ne peuvent être dérivées les unes des autres, ce qui explique l’obligation d’avoir eu des ancêtres aquatiques différents. La différence dans les organes respiratoires vient corroborer cette conception.

M. Grasshoff (1978) propose, non pas une toute nouvelle classification, mais un modèle d’évolution faisant intervenir différents paliers évolutifs; dans la conception proposée, l’élément clef est la transformation des premiers appendices en un organe de capture et l’obligation pour ces porteurs de chélicères de s’adapter aux conditions imposées par le milieu pour pouvoir capturer leurs proies. Pour M. Grasshoff, la prise de nourriture explique le tagmosisme, qui serait une adaptation des différents ordres à des modes de vie bien précis.

P. Weygoldt et H. F. Paulus (1979) arrivent à des conclusions bien différentes de celles des auteurs précédents. Leur but est de donner une hypothèse plausible de l’évolution des Chélicérates à partir d’analyses cladistiques; pour cela, les données morphologiques, embryologiques, éthologiques et ultrastructurales sont examinées et discutées dans tous les ordres. Les Chélicérates forment un taxon monophylétique renfermant les Aglaspides et les Euchélicérates et ceux-ci renferment les Xiphosures et le reste des Chélicérates (= Métastomates). Les Métastomates se ramifient très tôt en Euryptérides et Arachnides. Les Arachnides sont donc monophylétiques et seraient passés très tôt (peut-être dès leur fondateur?) à la vie aérienne. Les Arachnides se divisent en deux groupes: les Pectinifera (= ordre des Scorpions) et les Lipoctena (tous les autres Arachnides). Les Lipoctena renferment les Megoperculata (Uropyges, Amblypyges, Araignées) et les Apulmonata (reste des Arachnides). Les Pantopodes sont d’authentiques Chélicérates qui se détachent soit à la base des Chélicérates ou des Euchélicérates, mais de toute manière ils sont d’origine très ancienne.

Que penser de toutes ces hypothèses? Apportent-elles vraiment du nouveau ou introduisent-elles un regrettable imbroglio dans la systématique, déjà difficile, des Chélicérates? Nous constatons que la plupart des arguments utilisés proviennent des données de la morphologie externe, certains de la morphogenèse et de l’anatomie et très peu de la physiologie. On peut regretter qu’aucune donnée sérologique, immunologique ou cytogénétique ne soit utilisée, et pour cause: ces techniques n’ont pas encore été appliquées comparativement chez les Chélicérates. Un auteur facétieux pourrait ainsi créer à la rigueur une nouvelle classification du monde animal en opposant les seules Araignées à tout le reste des Métazoaires en se basant sur l’ultrastructure du flagelle des spermatozoïdes, très particulière chez les premières nommées. On voit toute l’importance du ou des critères choisis pour l’élaboration d’une phylogenèse, et il est certain que d’autres propositions de classification vont apparaître dans les années à venir; elles contribueront, elles aussi, à l’élaboration ultérieure d’une théorie synthétique de l’évolution des Chélicérates.

chélicérates
n. m. pl. ZOOL Sous-embranchement d'arthropodes comprenant les arachnides, les mérostomes et les pycnogonides, tous pourvus d'une paire de chélicères, à l'aide de laquelle ils capturent leur proie et souvent lui inoculent un venin ou des enzymes destructrices.
Sing. Un chélicérate.

chélicérates [keliseʀat] n. m. pl.
ÉTYM. 1901, Heymons; de chélicèr(e), et -ates.
Zool. Groupe (super-classe ou sous-embranchement) des arthropodes, comprenant tous les animaux munis d'appendices céphaliques en forme de pinces ou crochets (au lieu d'antennes) [ Chélicère], à corps segmenté, formé d'un prosome (tête et thorax) et d'un opisthosome (abdomen) [35 000 espèces actuelles]. || Les Mérostomes, Arachnides, Euptérydes, Limules, Scorpions… sont des Chélicérates.Au sing. || Un chélicérate.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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